Un vert triomphant - Alex Des

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JiDé
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Un vert triomphant - Alex Des

Message par JiDé » mar. 2 août 2022 10:40

Image Un vert triomphant - Alex Des



«C 'est tout de même sympa d'avoir de l'argent » pensa Frederick en admirant le produit fini. Devant lui s'étalait une immense terrasse qu'il avait fait aménager pour qu'y soit installée une gamme très complète d'outils d'ablutions et de moyens de faire trempette : piscine d'eau salée, douche-hammam, spa de nage, Jacuzzi, et même baignoire spéciale pour bains de boue. Frederick raffolait de ces jeux d'eau et de vapeur et il contemplait ces petites merveilles flambant neuves avec l'excitation d'un enfant devant un étalage de sucreries. La terrasse était entourée d'une baie vitrée à panneaux coulissants qui donnait une vue imprenable sur la nature sauvage de la vallée. Un toit amovible se dépliait sur la simple pression d'un bouton et des panneaux solaires dernier cri disposés alentours garantissaient l'autonomie électrique de la terrasse. Une infinie complexité de câbles et de capteurs courrait sous les boiseries exotiques du plancher pour connecter électroniquement l'ensemble des équipements à une console centrale d'allure futuriste. Un vrai chef d'œuvre d'aménagement extérieur. Il avait dépensé sans compter.

Le soir de l'inauguration de la terrasse, Frederick se fit accompagner par une bouteille d'un excellent whisky. Tandis qu'il sautait de bain en bain, de jet d'eau en jet de vapeur et de mousse en boue telle une grenouille allègre, la bouteille se vidait, elle aussi allègrement. Hélas, ivresse et technologie font rarement bon ménage. Emporté par le désir éméché de tester tous les programmes, toutes les options de ses nouveaux jouets à eau, Frederick envoya tant d'informations contradictoires à la console centrale que celle-ci se bloqua. Une fumée blanche qui n'avait rien de vaporeux siffla d'entre les lames du plancher, les jets du bain à bulles se transformèrent en geysers agressifs et la baignoire de boue éructa violemment son contenu visqueux à travers toute la terrasse. Soudainement dégrisé, Frederick appuya sur le bouton d'arrêt d'urgence de la console et ne put que constater l'étendue du désastre.

Les jours qui suivirent, Frédérick tenta par tous les moyens de faire réparer son bien, mais il avait fait appel à tant d'équipementiers et de compagnies différentes que tous se rejetaient la balle pour savoir qui devait intervenir dans une partie de ping-pong multinationale et polyglotte. Les plombiers locaux, eux, décampaient devant la complexité des modes d'emplois rédigés en mandarin, cyrillique, voire Javanais.

Le temps passait et la situation stagnait tout autant que la fine pellicule d'eau et de boue qui recouvrait la terrasse. Dans un souci d'aération, Frederick fit ouvrir le toit et coulisser quelques panneaux de la baie vitrée. Puis il retourna à son téléphone, à ses prestataires et à ses bouteilles de whisky. Le temps passa, morne et vain.

Un matin, alors qu'il méditait sur l'absurdité de la condition humaine et de la bouteille vide qu'il tenait en main, Frederick surprit des mésanges qui s'ébrouaient gaiement dans le Jacuzzi ouvert aux quatre vents. Au moins il servait à quelque chose ! En s'approchant, il s'aperçut que de minuscules mousses aux proto-feuilles vertes avaient commencé à pousser ça et là sur la terrasse, ainsi que de petits champignons orange aux chapeaux curieusement convexes. Bah, soupira Frederick, je ferai nettoyer tout ça quand les réparateurs seront enfin là.

Emportées par les ailes des oiseaux et le hasard des vents, de nombreuses graines vinrent échouer sur la terrasse de Frederick et, y trouvant un terreau favorable, eurent tôt fait de la transformer en un fouillis végétal. Ce couvert vert devint rapidement un terrain de jeu pour les insectes et la faune rampante. Les moustiques et gerris investirent l'eau chaude du jacuzzi tandis que les crapauds et salamandre préféraient le bain de boue. Le soir venu, tout ce petit monde bruissait et chuintait et Frederick, entre deux bouteilles, se faisait la réflexion qu'il était complétement dépassé par la situation. Mais ce n'était que le début.

En effet, les jours se transformèrent bientôt en semaines, les semaines en mois et les mois en saisons sans que le moindre réparateur pointât le bout de son nez. Alors que les jours raccourcissaient et les arbres s'effeuillaient à l'extérieur, la terrasse, toujours maintenue à bonne température grâce aux panneaux solaires, faisait figure d'oasis, de refuge verdoyant. Les herbivores vinrent y brouter des réserves pour l'hiver, les sangliers gratter le bis exotique à la recherche de racines, et les carnivores s'y mettre à l'affût. Un matin, alors qu'il assistait à une querelle entre un renard et un lynx qui se disputaient les restes d'une biche tuée à deux pas du hammam, Frederick se dit que la coupe était pleine. Abandonnant veaux, vaches et biches éventrées, il prit le premier avion vers une contrée lointaine pour fonder une nouvelle piscine et oublier cette histoire.

Un jour, son téléphone sonna. La police. On lui demandait s'il désirait porter plainte contre les squatteurs qui s'étaient introduits dans son domicile en son absence. Peu désireux d'en savoir plus, il tenta de les ignorer mais ils se firent pressants. Résigné, il dut se résoudre à rentrer chez lui pour tirer cette affaire au clair.

La sidération le saisit quand il vit ce qu'était devenue la terrasse. En son absence, de véritables arbres avaient poussé entre les lattes du plancher. Une végétation luxuriante étouffait tous les équipements qu'on devinait noyés sous les plantes épiphytes. Le spa à nage était désormais rempli de nénuphars et de petites grenouilles rouges et bleues. D'épaisses lianes reliaient le sauna à la douche-hammam et servaient de perchoir à des des... toucans ? Des singes-araignées ?

La police lui raconta que les squatteurs étaient des collectionneurs d'animaux exotiques qui avaient vu dans cet écrin tropical abandonné l'occasion d'agrandir leurs vivariums. Frederick porta plainte et tout ce petit monde fut sommé de rentrer chez lui en emportant sa ménagerie. En pure perte car les animaux, trop heureux d'avoir retrouvé leur élément naturel, se repliaient vers les coins les plus impénétrables de la terrasse à la moindre tentative de recapture.

L'affaire des squatteurs de la terrasse-jungle fit parler d'elle dans les journaux. Un journaliste inspiré parla d'un « écrin vert triomphant au cœur de la vallée glacée. » Cette publicité amena des hordes de curieux armés de jumelles qui venaient se presser autour de la demeure pour observer les flamants roses et la famille de tapirs qui, disait-on s'était installée près de la baignoire à boue originelle. Excédé, Frederick fit appel à une milice privée pour faire régner l'ordre et disperser les curieux mais les miliciens plièrent bagage quand un de leurs chiens se fit dévorer par le crocodile qui rôdait toujours non loin du spa à nage...

La santé mentale de Frédérick vacillait. Tantôt paranoïaque, tantôt dépressif, il abusait du whisky et des médicaments et les piqûres de moustiques tropicaux lui transmirent les germes de fièvres mystérieuses. Dans un rêve, il fut pris par la révélation qu'une rose parfaitement noire avait poussé en plein cœur de la terrasse. Faisant fit du bon sens, il monta une expédition solitaire pour la retrouver.

On ne le revit plus jamais. Certains disent qu'il fut dévoré par un jaguar, d'autres qu'il est encore en vie et qu'il règne désormais en maître de la jungle assis sur un trône d'os de singes situé près du Jacuzzi.

La disparition mit un point final à cette affaire et la maison et sa terrasse maudite furent barricadées et interdites d'accès par les forces de l'ordre. C'est donc un policier qui répondit à homme d'origine indistincte qui se présenta un jour à la demeure et dit :

« Bonjour, je viens pour réparer une piscine. C'est bien ici ? »


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sur Image, avec tous mes Potos :jidé:
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xs4u
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Un vert triomphant - Alex Des

Message par xs4u » mar. 2 août 2022 17:26

Excellent :bien:
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The many lives, the many faces, like tears in rain. Where does this ocean go? Let the mystery be!
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