Déjà vu - Dounours

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Modérateur: JiDé

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JiDé
Le Taulier
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Déjà vu - Dounours

Message par JiDé » ven. 24 nov. 2017 10:39

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Déjà vu
Je marchais tranquille sans trop savoir où j’allais ni même où j’étais.
« Peut-être qu’à force de rêver on finit par se perdre. »

C’était une grande ville, rose dit-on, tout était clair, calme et léger. Alors que je quittais la place Olivier, j’entamais une rue étroite et courte, la rue Réclusane. Là, au numéro 10, je remarquai une vitrine salie par l’oubli avec un intérieur plein de vide. Allez savoir pourquoi je stoppais là. Je fus pris d’une forte et troublante sensation, alors mal à l’aise, je repris mon chemin. Mais chose étrange, comme une curieuse attirance, je ne voyais rien d’autre que cette vitrine. Aussi, je décidai d’y retourner le lendemain et le surlendemain pour finalement m’y rendre tous les jours.
Or, une fin d’après-midi, je n’étais pas tout seul. Un petit vieux, sec, un papier maïs aux lèvres était là, songeur. Tout d’abord il m’intrigua et vite il m’intéressa. Je m’approchais doucement en hochant la tête en guise d’un bonjour. Il fit de même tout en retirant sa cigarette de la bouche puis me demanda :
— Vous n’auriez pas du feu ?
Je répondis, désolé :
— Pas de chance, je ne fume pas.
On se mit à causer. Sa voix était agréable, chantante et sa conversation reposante faisait qu’on pouvait l’écouter des heures durant. De temps en temps, j’infiltrais une question. Il répondait à tout, simplement et gentiment. Soudain, en indiquant la vitrine je lui demandai :
— Savez-vous ce qu’il y avait ici autrefois ?
Ses yeux se mirent à briller et je ne sais pourquoi dès cet instant, j’eus l’impression qu’il faisait partie de mes amis, et ce depuis toujours. Il me conta l’histoire.
« Jadis au numéro 10, se trouvait un coiffeur chez qui les clients avaient droit à la coupe, soit au rasoir soit aux ciseaux, de plus, sur un air de la Traviata de Verdi. Huit était l’heure d’ouverture ; quant à la fermeture, tout dépendait du temps pris pour l’apéritif. En somme, c’était un de ces lieux conviviaux qui ne désemplissait jamais. »
Il mêlait le geste à la parole à la manière d’un rital. Je l’écoutais le cœur emballé, le regard émerveillé et plus il parlait, plus j’étais sûr de le connaître. Cependant, je me gardais bien de l’interrompre. À chacune de ses belles phrases, j’aspirais les mots pour mieux les mémoriser ce qui secouait mon esprit agréablement mais tristement aussi.
La nostalgie sans doute. À cette pensée, brusquement je me suis dit : « Quelle nostalgie, je ne connais ni cet homme ni cet endroit ! »
La nuit était tombée et sa fraîcheur de nous le rappeler. Je le remerciai et le saluais d’un geste amical en criant :
— À demain !
Il me répondit par un sourire muet et s’éloigna dans l’ombre du soir comme on s’éloigne du passé. Le lendemain, j’attendis des heures sans voir arriver mon petit vieux, cela m’inquiéta. Je me renseignai auprès de voisins et de proches commerçants mais personne ne voyait de qui je parlais.
Je sentais l’agacement m’envahir quand soudain, devant la vitrine, un couple s’arrêta net. Discrètement je m’approchai, arrivé assez près, j’entendis l’un d’eux dire à l’autre :
— Te souviens-tu...
Je profitais de l’occasion pour les interpeller :
— Excusez-moi, vous n’habiteriez pas dans le coin par hasard ?
L’homme quelque peu surpris me répondit :
— Non, depuis fort longtemps. Mais vous cherchez quelqu’un peut-être ?
— Eh bien oui, figurez-vous qu’hier à votre place, là même où vous vous trouvez, je discutais avec un monsieur dont je ne sais le nom. D’ailleurs, je ne sais rien de lui excepté qu’il a bien connu le coiffeur de l’époque.
— Ah bon ! s’exclama l’homme, c’était notre coiffeur à nous aussi mais il y a des lustres et des lustres.
Il continua :
— Un bien brave homme, après lui plus rien, comme souvent dans ces cas-là.
Puis il demanda :
— Mais ce monsieur, comment était-il ?
— Oh, un petit vieux, maigrelet, aux joues creusées avec une voix qu’on n’oublie pas accompagnée d’un sourire dans les yeux. Vous voyez, le genre simple et gentil.
Je voulus poursuivre lorsque je m’aperçus du regard douteux de mes deux interlocuteurs.
Intrigué je demandai :
— Quelque chose ne va pas ?
Ils s’interrogeaient du regard et la dame se tourna vers moi :
— Mais diable, vous affabulez !
Moi surpris, je questionnai :
— Mais qu’ai-je dit de si choquant ?
Et d’une voix autoritaire presque martiale, le mari me lança :
— Si ce petit vieux que vous nous décrivez mâchonnait du papier maïs avec l’accent italien, moi je suis le roi d’Espagne.
— Stupéfait, je pensais : « Que vient faire un roi là-dedans ? »
Alors j’interrogeai :
— Et pourquoi ça ?
L’homme devenu Roi repris :
— Parce que nous nous sommes, ma femme et moi, fait coiffer ici pour la dernière fois il y a 60 ans. Pour lors, nous avions 20 ans, année où notre brave coiffeur lui et son papier maïs disparaissaient. Voilà le pourquoi cher monsieur, sur ce, bonjour chez vous !
Je restais frustré et sans voix.
C’est bras dessus, bras dessous que je voyais partir l’impossible, l’incroyable.
« J’ai bien parlé à un homme hier, j’en ai encore des frissons. Et cette vitrine, cette rue, ce n°10, je ne l’ai pas inventé... ou alors, c’est que mon imaginaire me joue des tours. Oui, c’est sans doute ça !... »
Toutefois, je sais qu’une fois au moins dans notre vie cela nous arrive à tous de s’entendre dire :
« Je ne suis jamais venu ici et pourtant j’ai l’impression d’y revenir. »

Et cela peut vous paraître stupide ou ridicule mais je pense souvent à mon petit vieux et son papier maïs.

Image - Auteur: Dounours
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sur Image, avec tous mes Potos :jidé:
Hugul

Re: Déjà vu - Dounours

Message par Hugul » ven. 24 nov. 2017 11:50

Grrrr , c'est trop court ! :pas_cool: ... Mais :0030: , ça m'a donné l'envie de rouvrir un livre de nouvelles . :e_smile:
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