Place Mazas - Nathalie Osterreicher -

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JiDé
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Place Mazas - Nathalie Osterreicher -

Message par JiDé » mer. 20 janv. 2016 10:00

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J'aime la musique et j'aime la chanter, j'aime l'humour de préférence corrosif mais respectueux et j'aime les lettres surtout quand elles sont écrites sans faute, mais en ce domaine nul n'est parfait !



Place Mazas - Nathalie Osterreicher
Paris. Institut médico-légal. Un homme de quarante ans attend dans l’une des salles de reconnaissance. La double-porte s’ouvre automatiquement. Un employé en blouse blanche pousse un chariot mécanique sur lequel repose un corps entièrement recouvert d’un drap. Il le rabat d’un geste brusque. Le visage du visiteur blêmit. Ce n’est pas lui. Georges sue froidement. Les yeux exorbités, le souffle court, il tente de comprendre pourquoi l’homme qui gît horizontalement et irrémédiablement sur le chariot n’est pas celui que lui, Georges, a assassiné hier soir. Son plan a pourtant merveilleusement bien fonctionné, à un détail près tout de même : ce n’est pas le bon bonhomme. Georges se retrouve maintenant dans une situation critique. Il lui faudra être extrêmement prudent puisque Monsieur Paul, censé se trouver sur le chariot, est toujours vivant, et qu’il va vouloir se venger.

Georges sort du frigo sans demander son reste, laissant l’employé seul avec ses formulaires. Il se retrouve place Mazas sous la pluie, dans son vieil imper rapiécé. « Sale temps pour crever », pense-t-il.
Il faut absolument que Georges mette la main sur Monsieur Paul avant que celui-ci n’inverse les rôles. Mais avant tout il doit voir Olga, son Olga. Il se rend dans son petit hôtel miteux, près du Père Lachaise. Mado, la patronne, ricane en voyant Georges débarquer comme un fou dans le hall.

- Alors, tu l’as loupé ?
- Comment tu sais ? demande Georges, interloqué.
- Te fatigues pas Jojo, tout le monde sait. Et elle ajoute – sans pouvoir s’empêcher de sourire – si j’étais toi, j’irais me planquer dare-dare avant que Monsieur Paul te mette le grappin dessus.

Tout en montant les escaliers jusqu’à la chambre d’Olga, il revoit séquence par séquence les détails du plan imaginé par sa maîtresse. Tous les mardis soirs, Monsieur Paul a ses habitudes au Balto. Il tape le carton avec des collègues jusqu’à minuit. Minuit pile. Et c’est comme ça tous les mardis. Sans exception. Puis Monsieur Paul rentre chez lui impasse Monplaisir. L’impasse, très étroite, n’est pas éclairée. C’est donc l’endroit idéal pour lui régler son affaire.

Il suffisait juste de faire la planque bien patiemment. Il ne pouvait pas le manquer. Un seul coup de feu et ce serait fini. Olga serait libérée de Monsieur Paul, et ils pourraient partir tous les deux à Gif-sur-Yvette dans la Vallée de Chevreuse, pour couler des jours paisibles loin de l’agitation parisienne.

Le soir venu, Georges avait été si nerveux qu’il s’était posté impasse Monplaisir un peu en avance. Quand il avait aperçu une ombre qui venait vers lui, il ne s’était pas demandé s’il s’agissait de Monsieur Paul ou de quelqu’un d’autre. S’il avait été moins angoissé, il aurait pu voir que ce n’était pas sa cible, car il était seulement minuit moins le quart et que Monsieur Paul devait certainement être encore au Balto en train de terminer sa partie. Ce n’est qu’une fois le plan accompli, après avoir couru comme un fou jusqu’au boulevard de Ménilmontant, traumatisé par son acte, qu’il avait regardé sa montre. Minuit. Exactement minuit. Cruellement et indubitablement minuit. Son cœur avait cessé de battre. Et s’il s’était trompé ?

Le lendemain matin, quand il était sorti de chez lui, les crieurs de journaux vociféraient les grands titres à travers Paris : « Un mort impasse Monplaisir ! Assassinat crapuleux ou règlement de compte ? » Il fallait vérifier. Et c’était tout tremblant qu’il s’était rendu à l’institut médico-légal.

Lorsque enfin, il retrouve Olga dans sa chambre, elle l’accueille presque hilare. « Alors mon loulou, tu t’es trompé de gusse ? » Il s’était attendu à plus de déception. Finalement il avait échoué, ils ne pourraient pas partir tous les deux comme ils l’avaient rêvé, mais peut-être avait-il été seul à rêver, car elle continue toujours moqueuse : « Tu l’as loupé mais c’est pas un drame ! De toute façon tu ne l’aurais jamais eu parce que je l’avais mis au parfum Monsieur Paul. Il a bien ri d’ailleurs : Jojo, le vieux de quarante piges qui veut se faire la belle avec une jeunette de vingt ans pour faire les quatre cents coups comme des tourtereaux. Toi, t’as autant la tête à jouer un jeune premier que moi une sainte nitouche. » Puis elle ajoute encore : « Tu croyais vraiment que j’allais tout lâcher pour vivre à Pétaouchnoc avec un péquenot comme toi ? Sans oseille ? Et que j’allais jouer le rôle de Madame Jojo et te faire des marmots à la chaîne ! Pauvre Jojo va ! » Voyant qu’elle l’a blessé, elle dit plus gentiment : « Allez c’est pas grave, comme t’es un bon client et que je t’aime bien, je te fais une ristourne à vie, ça te va ? »

Humilié au plus profond de son être, de sa chair et de son orgueil, comprenant tout à coup qu’Olga ne lui appartiendrait jamais, ses rêves s’écroulent comme un château de cartes.

Olga se remaquille devant le miroir. Georges s’assoit derrière elle et se love contre elle, tendrement. Il blottit son visage contre la joue de sa maitresse, le menton bien calé sur son épaule, leurs deux visages alignés en une droite parfaite. Il regarde le reflet de son couple apparemment heureux. Il pointe son revolver sur la tempe d’Olga. Elle sourit. « Tu sais qu’avec une seule balle de ton engin, tu pourrais nous trouer la tête à tous les deux ? » Il acquiesce tristement.
Le coup part.

Paris. Institut médico-légal. Un homme de quarante ans attend dans l’une des salles de reconnaissance. La double-porte s’ouvre automatiquement. Un employé en blouse blanche pousse un chariot mécanique sur lequel reposent deux corps entièrement recouverts d’un drap. Il le rabat d’un geste brusque. « Encore un drame passionnel » commente l’employé. « Ouais, c’est moche » dit Monsieur Paul avant de retrouver le pavé de la place Mazas.

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Pol
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Re: Place Mazas - Nathalie Osterreicher -

Message par Pol » sam. 30 janv. 2016 20:47

Bien vu, monsieur Paul !
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